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Minuit : Le clocher de l'église sonne les douze coups. Par habitude, la jeune femme jette un coup d'oeil à sa montre, qui affiche elle aussi minuit. Elle se remet ensuite à pianoter sur son pc : "...et une dizaine de coups dans le ventre, sur le torse et dans le dos. Il semble que ces frappes aient été faites ante-mortem, mais la victime devait déjà être inconsciente à ce moment là. Seul un des coups dans le dos a déplacé une côte dans la zone inférieure du dos, les autres n'ont laissé que des bleus. L'aggresseur a sans doute utilisé le poing." Pause. Le silence reprend son règne dans la pièce, éclairée seulement par l'écran et la lune. La femme se lève et regarde par la fenêtre. L'horloge ornant la façade du bâtiment d'en face indique minuit dix à peine, elle regarde de nouveau sa montre. Elle se rend dans la cuisine, allume la lumière et met de l'eau à bouillir, puis prépare une tasse et une infusion, attrape le journal posé sur la table, qu'elle feuillette : "Informations du soir...une page tourne...une alerte à la bombe dans...une page tourne...quatrième corps découvert ce matin sur la chaussée devant la mairie, le mort semble avoir subi le même sort que les précédents. La police enquête actuellement sur ces meurtres, mais les autopsies n'ont toujours pas été révélées au public. On craint..." un bruit sec dans la pièce fait sursauter la lectrice. Elle repose le journal, attrape la bouilloire et verse de l'eau chaude dans la tasse, puis remet la bouilloire sur son socle, attrape la tasse et retourne dans le salon devant son pc, dont l'horloge affiche maintenant 0:15 De nouveau, les touches brisent le silence de la nuit, entrecoupées de courtes pauses pendant lesquelles la femme boit une gorgée de thé. "On ne connaît toujours pas les causes de ces aggressions, les moyens d'actions diffèrent légèrement d'une victime à l'autre Comparer les rapports" La femme est souvent distraite par son thé et le rythme est beaucoup moins soutenu qu'avant sa pause. Juste au dessus de l'icone de l'horloge sur son bureau, un message clignote : "Nouveau message". La femme démarre un navigateur, se rend sur sa boîte mail. il s'agit d'un spam qui a passé le filtre. Au lieu de se remettre au travail, elle navigue de site en site, un peu au hasard, sur les sites des différents journaux locaux et nationaux : Tous parlent des mêmes meurtres. Un coup sonné au clocher de l'église la surprend. Minuit et demie. La femme appuye sur le bouton de son ordinateur, qui se met immédiatement en veille, et allume la lampe halogène à côté du canapé. Elle se rend ensuite dans la cuisine, où elle dépose la tasse dans l'évier, puis revient dans le salon, se déshabille en laissant ses habits en vrac, s'allonge dans le canapé, sous sa couette, et éteint la lumière. On entend un déclic sur le réveil posé près du canapé. Quelques minutes après, on n'entend plus qu'une respiration de quelqu'un qui dort. Le clocher sonne deux coups. Le ventilateur de l'ordinateur se met à tourner, et l'écran s'allume. On entend des bruits de touche de clavier. Un bruit sourd sur le canapé arrête net le pianotement ; quelques secondes après, il reprend. Au bout de quelques instants, une del verte se met à clignoter à l'arrière de la tour et remplit le salon d'un halo vert très faible. Ensuite, l'ordinateur se remet en veille, et de nouveau on n'entend plus qu'une respiration lente dans la pièce. La femme se réveille en sursaut. La lune est encore haute dans le ciel. Elle se lève, appuye sur le bouton de démarrage de son pc, démarre un éditeur de texte dans lequel elle tape quelques mots, puis remet son ordinateur en veille et retourne se coucher. Cette fois, le souffle est beaucoup plus saccadé. Une main sort de la couette, se pose sur le réveil qui affiche 5:57, et un interrupteur est déclenché. La femme rabat la couette rapidement, va dans la salle de bain et entre sous la douche, d'où on entend rapidement l'eau qui coule dans les canalisations. Deux minutes plus tard, la femme sort, enfile un peignoir qu'elle sert autour de la taille, s'essuie les pieds sur la serviette posée au sol, et se dirige vers la cuisine. En passant par le salon, elle appuye sur une touche du clavier de l'ordinateur, qui sort de sa veille et affiche l'éditeur de texte contenant les quelques mots tapés pendant la nuit. Une fois dans la cuisine, la femme attrape le journal et le jette dans la poubelle, puis allume la bouilloire. En attendant que l'eau bouille, elle retourne dans le salon et jette un coup d'œil à ce qu'elle a écrit, puis tape une combinaison de touches sur son clavier, ce qui a pour effet de faire apparaître une fenêtre à fond noir avec écrit "Voldg ~$" suivi d'un curseur clignotant. Elle tape rapidement quelques mots, valide, ce qui a pour effet d'allumer la del verte à l'arrière de l'unité centrale. Sans même lire le résultat de ce qu'elle a tapé, elle se relève et retourne dans la cuisine, où l'eau bout dans la bouilloire. Elle reprend la tasse posée dans l'évier, prend une boîte de café soluble dont elle verse une cuillerée dans la tasse, et y verse l'eau bouillante qui noircit au contact de la poudre. Elle repose la bouilloire, et retourne dans le salon, la tasse à la main. Un coup d'œil rapide sur la dernière ligne du terminal manque lui faire lâcher sa tasse : "You have new mail Mail last read Sat Oct 17 02:07:12 2006". Tremblante, elle pose sa tasse sur le bureau, et tape quelques commandes supplémentaires. Quelques secondes plus tard, elle se relève et fait quelques tours dans la pièce pour reprendre son souffle et un rythme cardiaque normal. Une fois mi-apaisée, elle se rassied à son bureau et tape à toute vitesse des commandes dans son terminal, et des lignes blanches sur fond noir défilent à l'écran. Un peu plus tard, la femme entend vaguement des coups de clocher et ne réagit qu'au dernier. Un coup d'œil sur l'horloge la fait se relever rapidement. Une combinaison de touches fait disparaître les lignes blanches, et le fond d'écran du bureau réapparaît. Elle s'apprête à appuyer sur le bouton de mise en veille, puis se ravise et l'éteint complètement, se lève, attrape un manteau et sort rapidement de son appartement. On entend un bruit de serrure, puis plus rien. Le café, à côté du clavier, est maintenant froid. La femme marche dans la rue; perdue dans ses pensées, elle sursaute lorsqu'un camion klaxonne à quelques centimètres d'elle, manquant l'écraser. Quelques minutes plus tard, elle arrive au commissariat, où un collègue l'accueille : "Tu m'as l'air toute patraque." "Oui, je n'arrive pas à avancer, et puis j'ai l'impression que...non rien. Dis, j'ai pensé à un truc hier soir : vous avez comparé un peu ce que possédaient les victimes? Journaux, ordinateurs personnels, s'ils ont navigué sur internet peu avant leur mort, où..." "Non, pas encore, mais on vient d'obtenir les mandats. C'est une question d'heures maintenant, sans doute ce soir." "Très bien, faites en sorte d'obtenir tout ce qu'il faut rapidement. Regardez aussi les éventuelles traces d'effraction, on sait jamais..." "D'accord. Il n'est pas encore 8h, tu es bien en avance. Un café?" L'évocation du café rappela à la femme que le sien était resté sur sa table. "Oui je veux bien" La femme file vers son bureau, où elle s'assoit pour lire les différents rapports qu'elle a à disposition. Le collègue entre quelques instants après et dépose une tasse de café sur le bureau. "Merci" "Je viens de voir qu'on a reçu un mandat, tu veux te joindre à l'équipe?" "Oui, elle part à quelle heure?" "J'ai convoqué tout le monde pour 9h, c'est pour le deuxième meurtre". "Ok" La femme se remet à la lecture des rapports, et se focalise sur le deuxième meurtre : "L'homme avait 24 ans". Il en paraissait beaucoup plus sur la photo. "Disquaire, il n'a jamais eu affaire à la police. Gagnait bien sa vie. Selon le patron, il travaillait encore comme d'habitude le jour de sa mort. Rien ne laisse penser qu'on le retrouverait mort le lendemain matin". Le rapport d'autopsie indiquait ensuite qu'il ne s'était passé que quelques heures entre sa mort et sa découverte. Il a été tué d'un coup de poignard dans le dos bien placé. "Il n'a même pas dû voir venir le coup" En lisant ces mot, la femme pense pour elle-même : "Encore un chanceux". Elle jette un coup d'œil à sa montre : 8h40, et il n'y a toujours aucun indice de ce qu'il faudra chercher une fois chez le disquaire. Elle se lève, range ses dossiers dans une serviette et se dirige pour sortir du bureau, avant de changer d'avis et retourner chercher la tasse de café, à laquelle elle n'a pas touché. Après avoir vidé la tasse dans l'évier de la tisanerie, elle se dirige pour rejoindre le reste de l'équipe. Sur le chemin, elle donne toutes les instructions d'enquête, demandant de chercher n'importe quel indice. Le disquaire habitait un petit appartement à trois pièces. À première vue, il avait été quitté comme on quitte un logement où on prévoit de revenir le soir. L'équipe se disperse dans l'appartement. Après avoir fait un rapide tour de la cuisine et de la salle de bains, la femme se dirige vers la chambre. L'informaticien de l'équipe est déjà assit face à un ordinateur qu'il manipule. "Alors ?" "Ben pas grand chose d'intéressant, sa dernière connexion date du 10 octobre vers deux heures du matin. Il est mort le jour même dans la nuit du 10 au 11, sans doute un geek. En tout cas, il n'a pas pu se connecter avant de mourir" "Il a des mails, pages visitées ?" "Il était assez méfiant apparemment, le cache et l'historique sont vidés à chaque fin de session et il n'enregistrait ni mot de passe ni login. On ne peut pas faire grand chose..." "Favoris ?" "Essentiellement des sites de loisir" Elle jette un coup d'œil, et un des noms des sites la fait sourire malgré elle : "www.abkra.com", un site qui offrait un voyage "là où personne ne dira jamais avoir été". Il fallait d'abord participer à un concours, dans lequel il fallait raconter avec le plus de détails possibles une façon de mourir. Elle avait choisi le suicide japonais. Le site n'avait pas connu un grand succès, tout au plus une cinquantaine de participants. "Encore un site mort-né", pense-t-elle. Sentant son esprit s'évader, elle se ressaisit. "Il n'y a pas non plus de dossiers personnels je suppose?" "Des trucs sans grand intérêt, tout ce qu'on trouve habituellement sur un odrinateur quoi. Par contre, il a une bibliothèque de musique énorme. Toutes obtenues légalement. Ça doit expliquer qu'il n'a pas de cd éparpillés partout dans sa chambre." La femme hoche la tête et s'éloigne. "Ah tiens au fait, tu as fait faire un relevé d'empreintes avant de toucher à l'ordi?" "Oui oui, Lucas a fait ça" "Ok" La femme sort de la chambre et s'assoit sur une chaise dans la cuisine. Ça n'avançait pas...N'ayant rien de plus à faire pour le moment, elle ressort ses dossiers et les relit une fois de plus, espérant y trouver l'indice qu'elle avait manqué jusqu'alors. Pendant ce temps, les autres membres de l'équipe s'affairent dans les pièces, donnant de vagues informations sans grand intérêt. "Il y a deux empreintes sur le clavier" "Et ailleurs dans l'appartement ?" "Rien de très discernable, il semblait inviter pas mal de monde. Sauf dans sa chambre, où les empreintes sont beaucoup moins variées. Je pense qu'il n'y laissait pas entrer n'importe qui..." "Et encore moins toucher à son pc ; cela ne m'étonne qu'à moitié." Le policier hoche la tête, avec un air compréhensif. "Tout ça ne nous avance pas des masses, cette histoire commence sérieusement à m'énerver. Rappelle l'équipe, on trouvera rien de plus ici." Sur le chemin du retour, tout le monde est calme. Les deux heures passées à chercher vainement un indice ont épuisé les policiers. La femme, appuyée contre son siège, les yeux fermés, semble réfléchir. "Il avait un téléphone portable ?" "Oui, il était dans l'appart'. Sa dernière communication remonte à 5 jours avant sa mort..." "Zut" Arrivés au commissariat, la femme descend rapidement de la voiture et entre dans un bureau. "Pas d'autre mandat ?" "Non". Le policier n'eut pas à demander s'ils avaient trouvé quelque chose d'intéressant. La tête de sa collègue en disait déjà suffisamment. "Tu veux manger un peu ? Il faudrait faire une petite pause aussi, cette affaire t'occupe beaucoup trop." "Pas faim" La femme quitte le bureau sans prendre congé, et se dirige vers le sien, où elle s'assoit dans le fauteuil et ferme les yeux un instant. Un coup frappé à la porte la réveille en sursaut. D'instinct, elle jette un coup d'œil à sa montre : déjà 13h. "Oui ?" Le collègue informaticien entre dans la pièce, un journal international à la main. "Tiens regarde ça, on n'est pas les seuls à avoir des problèmes" Elle attrape le journal et manque échapper un juron. "Il venait d'où ?" "Probablement de New York. Il ne faisait pas partie de la liste d'embarquement. Il est tombé de l'avion tout bailloné et a atterri droit comme un piquet sur la plage. Il avait disparu depuis la veille au soir sans donner de nouvelle. Apparemment il a été emmené de force." "Et aucun suspect dans l'avion ?" "On n'a rien trouvé du tout. Il était certainement caché dans les trains d'atterrissage..." "Comment l'a-t-on reconnu ?" "ADN, il restait une grosse flaque de sang sur la plage" La femme se lève rapidement, manquant tourner de l'œil. "Il faut...que je mange un peu" "Bien je t'accompagne." Le repas à la cantine du commissariat se passe en silence, et la femme semble perdue dans ses pensées. "Je ne sais plus où donner de la tête; aucun thème récurrent, aucun indice viable. On dirait que ce sont tous des meurtriers différents..." "Peut-être que c'en est?" La femme regarde son collègue avec un air effaré. "J'espère que non..." "Je pars voir ma mère à Helsingør demain, tu sauras te débrouiller seule pour les prochaines inspections ?" "Oui ça devrait aller, y'a pas d'autre mandat pour aujourd'hui ?" "Non, y'en aura pas d'autre..." Soupir. "J'en ai marre de c't'affaire" "Tu n'es pas la seule..." "Allez, passe un bon weekend" "Merci" Une fois son collègue parti, elle retourne dans son bureau et essaye de se remettre au travail. N'y parvenant pas, elle sort vers 16h de son bureau et part du commissariat en faisant un signe au gardien, avant de faire un tour par le parc. Déjà des mères amènent leurs enfants au parc après la sortie des cours, et la femme s'assied sur un banc, au milieu du bruit. Là, elle ferme les yeux et laisse son esprit vagabonder, au gré de ce qu'elle entend. Elle songe à ce qu'elle ferait si elle avait un peu de temps devant elle. Les paroles des enfants qui s'amusent dans le parc la surprennent. Quasiment tous connaissent déjà les jeux vidéos et semblent savoir manipuler un pc au moins aussi bien qu'elle. "Une nouvelle génération de geek", pense-t-elle pour elle. Alors que le soleil commence à tendre vers l'horizon, la femme se relève et se dirige sur le chemin de son appartement. Les rues sont bruyantes de monde à cette heure là, et elle passe chez un traiteur pour acheter à manger pour le soir. Une fois arrivée chez elle, elle dépose le plat dans le four à micro-ondes de la cuisine, sans oublier au passage de rallumer son pc et de récupérer la tasse de café froid qui était restée à côté du clavier. Elle attend dans la cuisine dans la pénombre, et s'installe pour manger lorsque le plat est chaud. Une fois le repas terminé, elle jette les déchets dans la poubelle et retourne dans le salon, où l'écran affiche déjà le message d'accueil. Elle jette un coup d'œil à l'horloge numérique, qui affiche 19h50. Ne se sentant pas d'humeur à se remettre au travail, elle vadrouille ça et là sur des sites divers. Le temps passe et la lune arrive haut dans le ciel, tandis que le clocher de l'église sonne onze coups. Le son du clocher la décide à se remettre au boulot. Elle démarre un éditeur de texte et commence à taper le rapport de ce qui a été trouvé chez le disquaire. Au bout d'une demi-heure, elle sent la fatigue la gagner et va dans la cuisine préparer un café, qu'elle boit lentement en continuant à taper son rapport. Lorsqu'elle en arrive à la partie informatique, le souvenir du site du concours lui revient en tête et elle va sur le site pour voir comment il a évolué. Une fois sur le site, elle se connecte et voit sur la page d'accueil qu'il y a une liste de gagnants. Dans la liste, elle remarque un gagnant enregistré sous le pseudonyme de "Mehdisquaire", et elle pense immédiatement à celui dont elle avait visité l'appartement dans la journée. "Ce devait être lui", pense-t-elle. "dommage, il n'a pas pu profiter de son lot". Le site propose un lien vers ce qu'il a écrit. La femme clique dessus et tombe sur un texte de deux lignes. En les lisant, elle écarquille les yeux : "Un coup de poignard dans le dos, juste au dessus du cœur. Pour éviter de souffrir." La femme sent son cœur commencer à battre la chamade. Elle se rend sur la page précédente et regarde la description du dernier gagnant en date. Le texte ressemble trait pour trait à celui qu'elle avait lu l'après-midi dans le journal. À mi-voix, elle lance "mais qu'est-ce que c'est que ça ?". Une voix rauque derrière elle la fige sur place : "Vous n'avez pas encore compris ? c'est bien dommage..." Un coup de poignard déchire l'ombre de la pièce et entaille le ventre de la femme, qui commence à hurler. Au même moment, les cloches de l'église commencent à se mettre en mouvement.